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CHAPITRE V. — POLYBE

citées plus haut, pour exprimer ce qui manque de vérité aux personnages et aux descriptions de certains historiens.

Au total, Polybe n’a aucune des qualités essentielles d’un grand écrivain. Il manque d’imagination et de sensibilité ; il manque du sens des proportions ; il parle une mauvaise langue. S’il produit pourtant parfois sur son lecteur une sorte d’émotion littéraire qui n’est pas sans charme, cela tient aux qualités fondamentales de son esprit et de son caractère, que toute sa gaucherie d’écrivain ne peut toujours empêcher de transparaître sous l’épais badigeonnage de sa phrase. On sent, malgré tout, qu’on a affaire à un homme de haute valeur, qui s’intéresse à de graves questions, qui s’y applique de toutes les forces de son judicieux esprit, et qui, ayant, sur tous sujets, d’utiles pensées à exprimer, le fait avec un sérieux, une sincérité, une conscience et une conviction dont on ne peut manquer d’être touché, en même temps qu’on est intéressé par le fond des choses. Cela ne suffit pas pour faire de Polybe un grand écrivain, tant s’en faut. Mais cela suffit pour qu’il ait parfois de belles pages, belles au moins par l’inspiration générale et la tenue. Et surtout, cela suffit pour qu’on lui doive de ne pas s’en tenir à son égard uniquement à ce point de vue de l’art, qui ne permettrait pas de le placer à son rang dans la liste des grands historiens. Car, tout compte fait, Polybe est un très grand historien. Voilà ce qu’il faut dire pour être juste, et ce qu’il est aisé de faire voir en rappelant quelques-unes de ses vues historiques.

VII

Et d’abord, c’était vraiment une intuition d’historien que cette idée qu’il exprime dans sa préface et qui ins-