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L’ART DE COMPOSER

divers morceaux qu’on peut en détacher (narrations, descriptions, portraits, dissertations), la clarté reste sa qualité dominante. Les choses sont expliquées par lui avec précision. L’enchaînement des faits est bien marqué. La marche du récit est nette et ferme. Cette clarté et cette netteté, cependant, sont plutôt, d’un professeur, qui analyse exactement toutes les parties d’un sujet, que d’un artiste qui fait voir les choses dont il parle. Il raisonne sans cesse, et longuement, sur les faits. Il est toujours prêt à se répandre en considérations épisodiques. De sorte que sa netteté même est souvent prolixe, dans l’ensemble de son exposition comme dans le détail de sa phrase. Ses narrations proprement dites se développent avec une ampleur fort instructive, mais elles sont rarement émouvantes, vives, pittoresques. Ses descriptions de pays sont consciencieuses, mais froides ; et un peu vagues parfois, même quand il parle de visu ; car la topographie de Polybe, comme celle de toute l’antiquité, est toujours une topographie d’amateur, une topographie par à peu près et « au jugé ». Ses portraits manquent étrangement de vie : ils tournent toujours à la dissertation ; s’il veut parler de Philopémen ou d’Annibal, il raisonne sur leurs vertus et sur leurs défauts, qu’il catalogue et discute avec autant de froideur que de conscience. C’est peut-être dans les dissertations proprement dites que Polybe est le plus près d’être un bon écrivain. Non qu’il y parle une langue plus pure, ou que sa phrase y soit plus vivante et plus souple ; il a toujours les mêmes défauts. Mais ces défauts mêmes sont plus tolérables peut-être dans des considérations. De plus, il y porte certaines passions de polémique qui animent parfois son style, ou une bonhomie qui l’égaie. C’est dans des morceaux de ce genre qu’il a rencontré ses plus jolies comparaisons, celles des « mannequins de peintre » et des « décors de théâtre », que nous avons