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ÉRUDITION, CRITIQUE, IMPARTIALITÉ

lopémen, un Scipion. Il a vu en outre de nombreuses archives[1]. Il cite quelquefois les documents in-extenso[2]. Il en a trouvé lui-même plusieurs d’un vif intérêt et s’en est servi de la manière la plus savante pour redresser les erreurs de ses prédécesseurs ; par exemple quand il énumère, d’après une table de bronze de Lacinium, l’état des forces d’Annibal[3]. Cette érudition précise et solide devient ainsi pour lui un moyen de critique.

Ajoutons enfin qu’il est impartial. Jamais historien n’a eu plus nettement conscience de ses devoirs à cet égard et ne s’en est exprimé avec plus de noblesse. « Dans la vie ordinaire, dit-il, de certains égards sont permis : un honnête homme doit aimer sa patrie et ses amis : il doit s’associer à leurs haines et à leurs affections : mais quand une fois on revêt le caractère d’historien, il faut oublier tous les sentiments de ce genre ; il faut souvent louer ses ennemis et les exalter, ou au contraire convaincre d’erreur et poursuivre des reproches les plus vifs ceux qu’on aime le mieux[4]. » Cette belle profession de foi n’était pas à ses yeux un vain discours : elle fut la règle constante de sa conduite. Comme homme, il lutte pour l’indépendance de sa patrie aussi longtemps qu’elle est libre, et, après la défaite, il rend à ses concitoyens tous les services qui sont en son pouvoir. Mais, comme historien, il juge leurs fautes et leurs erreurs avec une sévérité aussi clairvoyante qu’attristée, de même qu’il dit sans détours son admiration pour Rome.

  1. Polybe, II, 12, 3 ; IV, 52 ; XXI, 32, 2-14, etc.
  2. Polybe XXI, 32, 2-14 ; III, 22 (traité entre Rome et Carthage, au temps du consul Junius Brutus, avec mention de la difficulté que présente l’intelligence de ce vieux texte latin).
  3. Polybe, III, 33 (voir surtout la tin du chapitre).
  4. Polybe, I, 14, 4-5.