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CHAPITRE IV. — LA POÉSIE ALEXANDRINE

comme un gage d’amitié, au nom des Muses. Puis il prit sur la gauche et suivit la route de Pyxa. Eucritos et moi, avec le bel Amyntas, nous gagnâmes la demeure de Phrasidamos, ou nous nous couchâmes en des lits épais de lentisque odorant et de pampres fraîchement coupés. Un grand nombre de peupliers et d’ormes balançaient leur feuillage au-dessus de nos têtes, non loin de l’onde sacrée qui s’écoulait en murmurant de l’antre des Nymphes. Et dans les rameaux touffus, les cigales, brulées par le soleil, chantaient a se fatiguer ; et la verte grenouille criait au loin, sous les épais buissons épineux. Les alouettes et les chardonnerets chantaient ; la tourterelle gémissait ; et les abeilles fauves bourdonnaient auteur des fontaines. De toutes parts flottait 1’odeur d’un riche été, l’odeur de l’automne. À nos pieds et à nos côtés roulaient en foule les poires et les pommes ; et les branches, chargées de prunes, se courbaient jusqu'à terre. Un enduit de quatre ans fut détaché du col et de la tête des amphores. Ô nymphes Castalides, qui habitez le faite du Parnasse, le vieux Chiron offrit-il une telle coupe à Héraklès, dans l’antre pierreux de Pholos ? Le nectar qui enivra le berger de l’Anapos, le fort Polyphème, celui qui jetait des montagnes aux vaisseaux, ce nectar qui le fit trépigner à travers les étables, valait-il, ô nymphes, celui que vous nous versâtes auprès de l’autel de Déméter, protectrice des moissons ? Puissé-je enfoncer encore le van dans le grain, tandis qu’elle-même rira, les deux mains pleines de gerbes et de pavots[1].

Dans cette belle et clémente nature, Théocrite nous montre plutôt des pâtres que des moissonneurs, que des paysans proprement dits. Le berger est devenu le personnage traditionnel de l’églogue, non le laboureur. C’est encore par la même raison. La vie du pâtre est plus solitaire, plus voisine des grandes scènes de la nature, plus riche de loisirs aussi et plus libre d’accueillir soit le rêve, soit la poésie : elle est plus apte à se transformer en idéal. Le pâtre, d’ailleurs, vit au milieu des

  1. Idyll. VII, 128-157. Voir encore, dans la même pièce, la courte description de la source Bourina (6-9), ou l’admirable peinture de la mer calmant ses flots à l’approche des alcyons (57-62).