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CHAPITRE Ier. — CARACTÈRES GÉNÉRAUX

mais la Macédoine, les nouveaux royaumes semés par Alexandre à travers l’Orient vont devenir les facteurs essentiels de la vie politique du monde grec, prodigieusement élargi. Les Antipater, les Ptolémée, les Antiochus refoulent dans le lointain de l’histoire les Nicias, les Cléon, les Démosthène, les Phocion. Des peuples immenses, à demi barbares ou formés par de vieilles civilisations que la Grèce connaissait mal, entrent dans le cercle de l’hellénisme. De nouvelles cités, à moitié grecques et à moitié orientales, plus peuplées, plus riches que les anciennes, des cités à la mesure de cet hellénisme nouveau, surgissent comme par enchantement. L'hellénisme n’est plus seulement en Grèce ; il est partout où les armes d’Alexandre ont pénétré, et il y brille parfois d’un si vif éclat qu’il y semble plus chez lui que dans sa patrie d’origine et qu’on est sans cesse tenté d’oublier combien il y est superficiel.

Une pareille révolution politique, la plus grande que le monde ait vue avant l’empire romain, ne pouvait manquer d’avoir des conséquences immenses pour la littérature. La vieille capitale littéraire des deux siècles précédents, Athènes, avait désormais des rivales plus jeunes, et toutes différentes, dans ces villes nouvelles qui s’appelaient Alexandrie, Antioche, Tarse, Pergame. Elle-même, d’ailleurs, ne ressemble plus à ce qu’elle avait été autrefois. Ni le Grec d’Alexandrie, ni l’Athénien du iiie siècle ne sont le même homme que l’Athénien contemporain de Thucydide ou de Platon. Les œuvres, par conséquent, diffèrent aussi. D’une manière générale, on peut dire que la différence essentielle est celle-ci : la littérature grecque, durant la période d’indépendance nationale, avait toujours vécu de la vie même de la cité, dont elle avait reflété très-fidèlement l’évolution naturelle ; c'était une littérature populaire, traditionnelle, une littérature de « plein air ». Désor-