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ÉVHÉMÈRE

trée et aux trois îles de la Panchaïe, dont la capitale s’appelle Panara. Au milieu de récits d’aventures et de descriptions de mœurs, il s’attachait surtout à mettre en lumiere l’idée essentielle de ce qui s’est appelé ensuite l’Évhémérisme, à savoir que les dieux sont d’anciens mortels divinisés. C’est une inscription du temple de Panara (d’où le titre de son ouvrage) qui servait de prétexte à l’exposition de sa théorie. Cette inscription, en effet, consacrée aux trois plus antiques divinités de la mythologie grecque, Ouranos, Kronos et Zeus, racontait que ces dieux avaient été d’abord des rois de la Panchaïe. Évhémère partait de là pour exposer à sa façon l’histoire des dieux et leurs généalogies. Le récit de ces voyages lui donnait sans doute l’occasion de renouveler, à propos d’une foule de dieux et de héros, la démonstration de sa thèse fondamentale. Cette théorie, à vrai dire, n’était pas entièrement nouvelle : outre que les éléments s’en trouvaient déjà dans certaines légendes fort anciennes, elle était tout à fait conforme à l’esprit platement rationaliste dans lequel Éphore, après bien d’autres, avait expliqué les vieux mythes locaux. Mais jamais elle n’avait été exposée avec cette suite ; jamais l’idée générale n’en avait été mise en lumière avec tant de netteté. L’ouvrage, d’ailleurs, avait probablement le genre de mérite littéraire qui plaisait aux lecteurs de ce temps. Comme il exprimait une manière de voir qui était conforme à l’esprit d’une époque où la foi naïve avait disparu des intelligences cultivées, et où l’intelligence des âges très anciens était médiocre, il eut un immense succès. Le Romain Ennius s’en fit l’interprète passionné[1]. L’Évhémérisme, qui était au fond une sorte d’athéisme, devint la religion d’une foule de savants : il leur offrait cet avantage de les intéresser aux

  1. Cicéron, Nat. Deor. I, 42. Cf. De Offic. III, 28.