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les mensonges des démagogues, et il plaint les honnêtes gens qui, n’étant ni aristocrates ni démocrates, mais simplement des hommes raisonnables, ne pouvaient vivre en paix au milieu des fanatiques et des aventuriers[1]. On voit assez par tout cela que Thucydide n’était pas un homme de parti. Par conséquent on peut supposer qu’il ne joua pas un rôle très actif dans la politique intérieure d’Athènes.

Quoi qu’il en soit, il fut nommé stratège en 424. C’est là, dans la vie de Thucydide, une date mémorable, car c’est peut-être aux événements de cette année que nous devons la composition de son histoire. Thucydide fut l’un des deux stratèges désignés pour aller en Thrace. Il avait pour collègues Euclès, qui se rendit à Amphipolis ; lui-même fut envoyé dans les parages de Thasos, où les Athéniens avaient toujours des forces navales chargées de surveiller la côte et en particulier les mines d’or ; il prit le commandement de l’escadre[2]. Le choix qu’on avait fait de sa personne s’explique, comme il le laisse entendre, par l’influence que lui donnait parmi les populations du pays l’exploitation des mines du mont Pangée ; il était l’homme le plus capable de maintenir les indigènes dans l’amitié d’Athènes et d’en faire au besoin des soldats. Son rôle semblait devoir se borner là, lorsque l’audace du Lacédémonien Brasidas déjoua toutes les prévisions. Déjà, l’été précédent, Brasidas avait mis la main sur les petites places d’Acanthe et de Stagire, dans la Chalcidique. En plein hiver, il marcha sur Amphipotis, où il s’était ménagé des intelligences. La ville était défendue contre lui par le cours du Strymon et par un mur. La rapidité imprévue de son attaque et la trahison lui livrèrent

  1. Thucydide, ibid. (τὰ δὲ μέσα τῶν πολιτῶν ὑπ’ ἀμφροτέρων… διεφθείροντο).
  2. Pour tous ces événements, cf. Thucydide, IV, 104 et 105.