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Même précision passionnée, même vigueur dans sa phrase encore un peu raide et courte. La période est à deux membres, opposés l’un à l’autre soit par μέν et δέ, ce qui est plus conforme à l’usage grec général[1], soit par la répartition de la conjonction τε, ce qui est plus archaïque, plus frappant, et très fréquent dans tous ces discours[2]. À ces oppositions fondamentales s’ajoutent souvent aussi les figures inventées par Gorgias (rimes ou assonances, égalité des membres[3], etc.), qui les rendent plus sensibles à l’oreille et à l’esprit. Il y a là un grand effort pour distinguer les idées par une clarté souvent pénétrante, parfois aussi un peu d’artifice, et plus souvent encore de la monotonie. Dans la réalité, les relations des choses, et par conséquent les idées, sont plus variées et plus souples. L’art d’Antiphon, comme celui d’Eschyle, ne sait encore faire mouvoir que deux acteurs ; Lysias et Isocrate enseigneront le moyen d’en amener un troisième. Ce sera la perfection de l’art ; mais il y a déjà dans cette rigueur antithétique un progrès sur le laisser-aller d’Hérodote.

Les figures de pensées sont rares dans les Tétralogies, sauf l’interrogation, qui est la plus dialectique des figures, celle qui sort le plus naturellement de l’argumentation, par la seule chaleur de la pensée sans recherche d’art ni de rhétorique[4]. Souvent aussi une même idée est exprimée successivement par deux mots synonymes, qui s’ajoutent l’un à l’autre (συμφοραὶ καὶ χρεῖαι, κατηγόροι καὶ τιμωροὶ φόνου, etc.), pour donner à la

  1. Voir II, 3, 3-4.
  2. Exemple très curieux, I, 1, 9-10. — Cette manière de parler est ce que les rhéteurs grecs appellent ἡ ἀντικειμένη λέξις), la diction antithétique, par opposition à la diction simplement successive et juxtaposée d’un Hérodote (ἡ εἰρομένη λέξις), ou à la diction périodique des maîtres.
  3. Par exemple, III, 3-2.
  4. Exemple, I, 1, 5 ; 4, 6-7 ; etc.