Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qu’il saura pertinemment être faux, ces arguments sont très légitimes et très efficaces ; c’est de la rhétorique pratique et excellente.

Le style enfin, dans ces Tétralogies, est bien meilleur que ne le prétend Reiske ; il est déjà tout attique par la précision et la vigueur.

Le fond du vocabulaire est formé par la langue courante d’Athènes ; on n’y trouve pas ces formes volontairement archaïques (σσ pour ττ) que Gorgias employait, et auxquelles Thucydide restera fidèle ; on n’y trouve guère non plus de mots vraiment poétiques ; la gravité des débats judiciaires n’admet pas des ornements qui rappelleraient trop la tragédie. C’est donc la langue parlée qui domine, mais creusée, mais enrichie par une recherche opiniâtre de la nuance la plus fine et la plus exacte. Comme Prodicos, l’auteur des tétralogies oppose les synonymes et les distingue[1] ; comme tous les sophistes et comme Thucydide, il oppose l’apparence et la réalité, la vraisemblance et le fait[2].. Il admet les adjectifs ou participes neutres pris substantivement[3]. Il remplace le verbe usuel par un substantif verbal qui exprime la même idée d’une manière plus neuve et par conséquent plus frappante[4]. Il a des alliances de mots hardies, qui ne sont pas, comme chez Gorgias, de simples jeux, mais qui expriment des sentiments intenses[5]. Il est difficile et fort. Il arrive à une puissance d’expression qu’Hérodote ne connaissait pas, à un pathétique sobre et contenu, mais vigoureux.

  1. Ἀτυχία et σθμφορά, III, 3, 4.
  2. Δόξα τῶν πραχθέντων et ἀλήθεια, II, 2, 2 ; τὰ εἰκότα et τὸ ἔργον, I, 4, 8 ; λόγῳ μὲν, ἔργῳ δέ, etc.
  3. Τὸ θυμούμενον τῆς γνώμης, I, 3, 3. Expression reprise par Thucydide.
  4. Ἀνατροπεὺς τοῦ οἴκου ἐγένετο, Ι, 2, 2 ; ἀνοσίων ἔργων τιμωροὶ, ὁσίων δὲ διαγνώμονες, ΙΙ, 3, 3 ; βουλευτὴν τοῦ θανάτου, ΙΙΙ, 3, 4 ; etc.
  5. Ἀτυχίας ἰατρούς γενέσθαι ἀτυχίαν ἀδικεῖν, Ι, 2, 13, et I, 3, 1 ; τῆς ὐμετέρας εὐσεβείας οἰ αὐτοὶ φονῆς εἰσί, III, 2, 7 ; etc.