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Le grammairien grec anonyme à qui nous devons le premier argument qui précède les Tétralogies exprime à leur sujet la plus vive admiration : « Nulle part, dit-il, Antiphon ne manifeste mieux sa puissance, partout si visible, que dans ses compositions où il est lui-même son propre adversaire. » Il est curieux d’entendre après cela le savant Reiske, dans son édition des Orateurs attiques[1], exprimer non moins vivement le dégoût que lui inspire cette éloquence sophistique, vaine, affectée, puérile, etc. Cette manière de juger les Tétralogies devait conduire à en suspecter l’authenticité : comment attribuer à un grand orateur des œuvres d’aussi mauvais goût[2] ? D’autre part, en étudiant minutieusement la langue des Tétralogies, on y trouva quelques différences avec celle des discours[3]. Nouvelle raison pour quelques-uns de les regarder comme apocryphes. Ces soupçons, pourtant, n’ont pas été généralement accueillis par la critique ; outre que les différences en question sont légères, elles s’expliquent sans peine par ce fait que les Tétralogies sont des œuvres d’école, composées en quelque sorte pour l’amour de l’art, et où l’orateur était plus libre que dans des plaidoyers réels de se livrer à son goût pour la précision la plus subtile[4]. Sans nous arrêter davantage à ce genre de problèmes, essayons de voir ce que valent ces compositions, et pourquoi l’admiration du vieux grammairien grec est plus juste, à tout prendre, que le dédain de

  1. Oratores attici, t. VII, p. 849 : Sophista est Antiphon, idemque pater quodammodo illius generis dicendi umbratici, minuti, vani, putidi, paene dixerim puerilis, quo scholæ veterum conferbuere.
  2. Cf Pable, Die Reden des Antiphon, Jever, 1860.
  3. Schæfer, De nonnullarum particularum apud Antiphontem usu, Göttingen, 1877 ; Spengel, Antiphon (dans le Rhein. Mus., 1862, p. 162). Dittenberger (Hermès, XXII) attribue les Tétralogies à un Ionien du Ve siècle.
  4. Voir, sur ce sujet, de bonnes observations dans Cucuel, Essai sur la langue et le style de l’orateur Antiphon (Paris, 1886), p. 131.