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qu’ils ont de meilleur, peut-être, c’est la confiance qu’ils enseignent quelque chose d’utile, non plus une science vaine, comme l’était à leurs yeux celle des Ioniens et des Éléates, mais des connaissances applicables à la vie, d’abord les vertus publiques et privées, ensuite une foule de notions sur tous sujets. Malheureusement cette idée de l’utile, séparée de toute ferme croyance à la justice et à la vérité, manque de fondement, et il faut toujours en revenir, quand on veut juger leurs doctrines, à la formule d’Aristote : éristique et rhétorique, et rien de plus.

Ces derniers mots, il est vrai, nous avertissent aussi du véritable service rendu par la sophistique. Si elle n’a rien fait pour la science, elle a beaucoup fait pour l’art de la parole. Indifférente aux choses, elle a travaillé sur les mots avec passion. Elle en a distingué les significations, noté les nuances les plus délicates, observé les valeurs musicales de toute sorte. Elle a multiplié les tentatives et les expériences pour les assembler de manière à chatouiller l’oreille, à charmer l’imagination, à surprendre l’assentiment de l’intelligence. Qu’il y eût dans sa méthode, même au point de vue de la pure rhétorique, un danger, c’est ce qui n’a guère besoin d’être démontré : la vraie éloquence se moque de l’éloquence ; à trop chercher celle qui n’est que dans les mots, on risque de manquer celle qui vient du cœur et de la raison et qui seule importe. La sophistique, même au point de vue simplement littéraire, avait le tord de ne pas voir quel soutien le sérieux de la pensée donne à la parole ; elle ignorait la puissance de la vérité. Mais ces inconvénients furent d’abord peu considérables ; les circonstances extérieures faisaient contrepoids ; dans cette Athènes du Ve siècle, active et affairée, le sens du réel ne pouvait s’éclipser. C’est plus tard, dans la décadence, que le germe, d’abord