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plement affaire de méthode (comme chez Aristote), mais c’est qu’à leurs yeux les mots peuvent se passer des choses. L’éristique, qui est leur dialectique, n’est que l’art de cultiver en grand le sophisme et le calembour. La discussion de Protagoras sur le vrai meurtrier du gymnaste est un jeu qui peut amuser un Périclès, mais qui, à la longue, doit fausser l’esprit et témoigne de peu de goût pour la vérité. Le jugement d’Aristote, sur la méthode de Protagoras est d’une netteté définitive : « Ce n’est pas là de la science, c’est simplement de la rhétorique et de l’éristique. » Dans le second groupe, celui des indécis et des inconscients, on peut mettre la plupart des autres, et notamment ce Prodicos, qui partageait son activité entre l’étude des synonymes et la prédication de la vertu, ou cet Hippias, aux prétentions encyclopédiques. À première vue, on peut se méprendre sur leur compte et croire qu’en effet ce sont avant tout d’honnêtes positivistes, indifférents à la vaine recherche de l’absolu, mais curieux de science pratique et utile. Prenons garde cependant : il y a bien du faste chez Hippias, bien de la subtilité captieuse chez Prodicos ; c’est toujours le mot primant la chose, l’étude des faits sacrifiée au talent de parler sur ces faits sans préparation, longuement ou brièvement, au gré des spectateurs, et de manière à battre les spécialistes sur leur propre terrain. Cette habitude et ce goût du tour de force incessant, de la fête oratoire (ἐπιδειξις) toujours prête, qu’est-ce autre chose qu’une manifestation naïve de scepticisme inconscient ? Ils enseignent ainsi la stratégie, l’hoplomachie, la lutte, sans être ni lutteurs, ni hoplomaques, ni stratèges[1]. Cet art-là ressemble à la science à peu près comme un faiseur de tours ressemble à un physicien. Au fond, ce qui domine chez tous, c’est une frivolité bavarde et vaniteuse. Ce

  1. Cf. Euthydème, p. 271, C ; 273, C ; Mémorables, III, 1, 1.