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ci, sans doute, est, comme la sophistique, indifférente au vrai ; mais ce n’est chez elle qu’affaire de métier et, pour ainsi dire, nécessité professionnelle. L’autre, au contraire, est sceptique ex professo, par principe, et en vertu de sa conception métaphysique des choses ; pour elle, la déroute de l’être en soi a entraîné la déroute même du vrai ; la science suprême, c’est de pratiquer en toute matière le raisonnement exact (λόγος ὀρθός) ; quand on sait cela, on sait tout, on peut tout enseigner[1].

Or il y a deux grandes formes du raisonnement exact : l’une, qui s’applique aux conversation d’écoles, est l’objet de l’éristique, fille de la dialectique éléate ; l’autre, qui a son emploi dans les discours proprement dits, est l’objet de la rhétorique[2]. Voilà donc la rhétorique sicilienne rattachée à la Sophistique comme une de ses deux branches essentielles, mais en même temps transformée et agrandie ; car elle se relie dorénavant à un principe philosophique et se dégage du point de vue étroit où le métier l’enfermait, pour devenir l'étude d’un des procédés généraux de l’esprit, l’art de triompher dans les discours suivis, quel qu’en soit l’objet, quelle qu’en soit l’occasion.

La sophistique a été vivement attaquée dans l’antiquité par Aristophane et par Platon, au nom de la morale et de la philosophie. En revanche, elle a trouvé des défenseurs parmi les modernes, surtout en Angleterre : Grote et M. Mahaffy ant entrepris de démontrer qu’elle n’était ni immorale ni ennemie de la science

  1. Comparez avec la formule sceptique de Protagoras celle d’Aristote, rigoureusement exacte et scientifique : la rhétorique est l’art de dégager d’une thèse la dose de persuasion qu’elle comporte (τὸ ἐνδεχόμενον πιθανόν). La rhétorique ne crée ni la vérité, ni même la vraisemblance, elle se borne à la mettre en œuvre et en valeur.
  2. Sur le parallélisme de l’Éristique et de la Rhétorique, cf. Aristote, Réf. des Soph., 34.