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buent et qu’ils enseignent. Ceci demande quelques explications.

Les Ioniens, on l’a vu plus haut[1], avaient cherché la substance primordiale, l’être absolu, dans la matière et l’avaient poursuivi d’élément en élément sans l’atteindre. Pythagore et les Éléates, au contraire, mettaient l’être soit dans le Nombre, soit dans l’Un, c’est-à-dire dans une abstraction. Héraclite alors le mit dans le mouvement éternel des choses, et Anaxagore dans l’infinité de la matière, débrouillée et déterminée par l’esprit. Protagoras et Gorgias, fondateurs de la sophistique, en présence de cette diversité des théories, antérieures, arrivèrent tous deux également, quoique par des routes différentes, au scepticisme métaphysique et scientifique. Protagoras d’Abdère, élève d’Héraclite, déclare que, dans l’écoulement l’universel, les choses n’ont de réalité que par la perception que nous en avons : « L’homme est la mesure de tout, de l’être en tant qu’il existe, et du non-être en tant qu’il n’existe pas[2]. » Gorgias de Léontium, initié d’abord aux doctrines de la grande Grèce et de la Sicile, en tire cette triple conclusion : 1o l’être absolu n’existe pas ; 2o s’il existait, il serait inconnaissable ; 3o s’il était connaissable, il serait incommunicable aux autres hommes[3].

Ainsi, point d’absolu, point d’être en soi ; il n’y a

  1. Voir t. II, ch. IX.
  2. Platon, Théétète, p. 152, A : Φησὶ γάρ ποθ (Πρωταγόρας) πάντων χρημάτων μέτρον ἄνρωπον εἶναι, τῶν μὲν ὄντων ὡς ἔστι, τῶν δὲ μὴ ὄντων ὡς οὐκ ἔστιν. Cf. ibid., p. 360, C ; Cratyle, p.385, E ; etc. Textes dans Zeller, t. I, p. 498, n. 1 (trad. française). — Sur le sens exact de la pensée de Protagoras, voir Brochard, Protagoras et Démocrite, dans Archiv für Geschichte der Philosophie, t. II (1880), p. 368.
  3. Sextus Empiricus, Adv. Mathem., VII, 65 : Ἐν τῶ ἐπιγραφομένῳ « περὶ τοῦ ὄντος ἤ περὶ φύσεως », τρία κατὰ ἑξῆς κεφάλαια κατασκευάζει ἔν μὲν γὰρ πρῶτον ὅτι οὑδεν ἔστι δεύτερον, ὅτι εἰ καὶ καταληπτόν, ἀλλὰ τοίγε ἀνερμήνευτον. Cf. Isocrate, Hélène, 3 ; Antiodosis, 268.