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L’objet de leur art est de persuader ; la rhétorique, est une « ouvrière de persuasion[1] ». Or, d’où naît la persuasion ? du vraisemblable. La rhétorique est donc l’art de découvrir en toute question le vraisemblable : (τὸ εἰκός) ; elle ne s’inquiète pas de la vérité absolue, dont on n’a que faire devant les tribunaux, mais seulement de cette apparence de vérité qui rend un plaidoyer croyable (πιθανός) et qui fait qu’on gagne sa cause[2]. Ne nous récrions pas trop vite, avec Platon, sur l’immoralité de cette manière de voir : Aristote, au début de sa rhétorique, ne dit pas autre chose que Corax et Tisias ; il est certain que le vrai lui-même, pour triompher en justice, a besoin d’être rendu vraisemblable, et que les conditions d’un plaidoyer, la nature de l’auditoire, le temps dont on dispose, tout exclut forcément la recherche méthodique de la vérité telle que l’entendait Platon. La science du vrai est une chose et la science du vraisemblable en est une autre. Celle-ci, n’est pas immorale en principe ; elle peut seulement le devenir par l’application qu’on en fait[3]. Ajoutons qu’elle n’est légitime aux choses et aux circonstances qui ne comportent pas une méthode plus rigoureuse. Cela dit, au lieu de blâmer Corax et Tisias, nous admirerons plutôt la finesse avec laquelle ils ont découvert du premier coup l’essentiel de leur art.

Comment s’y prenaient-ils pour enseigner à trouver le vraisemblable ? Nous savons par Aristote que l’analyse savante, soit dialectiques, soit oratoires, est sa découverte propre ; les premiers maîtres de la rhétorique

  1. Πειθοῦς δημιοθργὸς ἡ ῥητορική(Gorgias, p. 453, A).
  2. Voir la théorie de Corax et de Tisias à ce sujet dans Platon, Phèdre, 267, A : 272, D ; etc., et dans Aristote, Rhé., II, 24, p.1402, A.
  3. C’est ce que dit Gorgias dans Platon (Gorgias, p.457, A).