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expresse[1]. Tisias, dont l’ouvrage est cité par Platon[2], fut l’élève de Corax. Le traité de l’élève, d’après Aristote, était supérieur à celui du maître[3] : la science avait grandi de l’un à l’autre ; mais le second avait, semble-t-il, beaucoup emprunté au premier, et le livre de Tisias était comme une seconde édition, revue et complétée, de l’ouvrage de Corax. Tous deux d’ailleurs furent vite oubliés : d’abord à cause des livres mieux faits de leurs successeurs immédiats, ensuite par l’effet de la publication du grand ouvrage d’Aristote intitulé Συναγωγὴ τεχνῶν, une sorte de Somme oratoire (comme la Somme théologique du moyen âge), où l’on trouvait, sous une forme plus commode et plus agréable que dans les traités originaux, tout l’essentiel de chacun d’eux, si bien que personne ne s’avisa plus de lire ceux-ci[4]. Quoi qu’il en soit, au moment où ils parurent, les livres de Corax et de Tisias firent une révolution ; il vaut donc la peine de voir ce qu’était cet enseignement.

Et d’abord, c’était un enseignement payé : Corax établit dès le début l’usage, adopté plus tard par tous les sophistes et tous les rhéteurs, de vendre à ses disciples le savoir utile qu’il mettait à leur disposition[5]. Simonide et Pindare en faisaient autant pour leurs vers ; les denrées intellectuelles, à cette date, commencent à avoir une valeur de commerce ; on ne saurait, malgré les railleries de Socrate, faire de reproche à ce sujet aux premiers maîtres de rhétorique.

  1. Rhétorique, II, 24 ; p. 1402, < 17 (ἡ Κόρακος τέχνη).
  2. Phèdre, p. 273, B (ἔγραψεν, dit Platon).
  3. Réfut. des Sophismes, 34 ; p. 183, B, 28 sqq. (Passage capital pour l’histoire de la rhétorique grecque et de ses méthodes.)
  4. Cicéron, de Inv., II, 2.
  5. Proleg. in Hermog., Walz, t. IV, p. 13 (Anecdote sur Tisias refusant à Corax, de lui payer le prix de ses leçons : « Ou bien tu m’as appris à persuader, et alors je dois te persuader de ne rien recevoir : ou bien tu ne m’as rien appris, et alors je ne te dois rien. » — Autre forme de l’anecdote dans Sextus Empiricus, Adv. mathem., II, 96).