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pour exprimer le style d’un autre (il y faudrait la souplesse d’un Platon) ; mais quelques beaux mots de Périclès, enfoncés « comme un aiguillon » dans le souvenir des auditeurs, ont survécu et nous font voir que sa philosophie et sa dialectique savaient par moment s’éclairer de ces « lumières du discours » dont parle Cicéron, c’est-à-dire de belles métaphores. La plus célèbre est ce mot qu’il prononça dans l’oraison funèbre des guerriers morts pendant la première année de la guerre du Péloponnèse : « La cité a perdu sa jeunesse, l’année a perdu son printemps[1]. » Il y a là une grâce digne de Sophocle. Une autre fois encore, il lit une oraison funèbre : ce fut à la suite de la guerre de Samos. Il dit alors à la tribune que les soldats tués à l’ennemi étaient immortels à la façon des dieux : on ne voit pas ceux-ci, en effet, mais on devine leur présence aux honneurs qu’on leur rend et aux bienfaits qu’on reçoit d’eux ; il en était de même des guerriers morts pour la patrie[2]. À côté de ces belles images, si bien appropriées à l’oraison funèbre, voici des métaphores toutes familières, mais expressives, et capables de frapper l’esprit de la foule dans une délibération politique. Il disait des gens de Samos qu’ils étaient comme les enfants qui pleurent en prenant leur potage, mais qui finissent tout de même par le prendre ; il disait des Béotiens qu’ils ressemblaient au bois de chêne, parce qu’on abat le chêne avec une cognée dont le manche est fait de ce même bois, comme les Béotiens se détruisent entre eux par leurs guerres intestines[3]. Il y a dans Démosthène des comparaisons de cette sorte.

Avec Périclès, il est probable que l’éloquence parlée venait d’atteindre à la perfection. C’était l’avis de Pla-

  1. Aristote, Rhét, I, 7, 34.
  2. Stésimbrotos, dans Plutarque, Périclès, 8, 6.
  3. Aristote, Rhét, 4, 3.