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discours, qui forment plan et cadre oratoire. Avant tout, Thémistocle est un homme de ressources, un « Ulysse fertile en ruses », qui a des stratagèmes pour toutes les circonstances, des répliques pour toutes les questions indiscrètes ; à Salamine, à Sparte, à Athènes, chez le Grand-Roi, il est toujours et partout homme à se tirer d’affaire. Il sait tour à tour se moquer, flatter, s’indigner. Il a mieux encore : il a des vues d’homme d’État, par exemple sa conception du rôle maritime d’Athènes ; et même, à l’occasion, des idées généreuses qu’il exprime avec force, par exemple dans le beau discours qu’il fit avant la bataille de Salamine, et que rappelle Hérodote[1]. L’analyse d’Hérodote est très courte ; elle n’en mérite que plus de créance ; l’historien n’a pas refait ce discours ; il semble bien qu’une tradition fidèle en ait gardé le souvenir. Ce jour-là, Thémistocle opposa vivement le courage et la lâcheté, la liberté et l’esclavage, la gloire et la honte, et il somme les Grecs de faire leur choix. Évidemment Thémistocle s’attachait plus aux choses qu’aux mots, comme son maître Mnésiphile. Il pensait, et la parole venait d’elle-même[2], sans recherche, ce qui ne veut pas dire sans grâce ni sans force, ni sans cette espèce de plénitude qui résulte d’un cadre bien trouvé. Le développement antithétique cité par Hérodote est une de ces trouvailles. Cela donne d’emblée tout un moule oratoire, une composition solide et claire. Cela donne même, dans le style, bien des ornements tirés du fond des choses, et d’autant meilleurs : par exemple des oppositions de mots qui mettent la pensée en saillie et gravent la phrase. Quoi qu'il en soit, on ne cite pas de traits oratoires de Thémistocle comme on en cite de Périclès. Il est peu probable qu’on les eût oubliés, car

  1. Hérodotie, VIII, 43 : Προηγόρευε εὖ ἔχοντα μὲν.
  2. Verba statim ambiunt, dit Cicéron d’un orateur.