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parole[1]. Il ajoute qu’il eut pour maître un certain Mnésiphile, du dème de Phréares comme lui, et qui était une sorte de philosophe politique, ni rhéteur (la rhétorique n’était pas née), ni philosophe proprement dit, mais héritier de la tradition solonienne et dont la sagesse était toute pratique[2]. Que vaut cette curieuse indication ? Il est difficile de le savoir. Mnésiphile aida-t-il Thémistocle, par ses entretiens, à pénétrer le caractère d’Athènes, à concevoir plus nettement l’avenir de la démocratie ? Dans tous les cas, c’était un maître à penser plutôt qu’à argumenter et à bien dire. Cette éducation se continua d’ailleurs naturellement pour Thémistocle par l’étude directe des orateurs contemporains[3]. Dans les Fêtes de Déméter d’Aristophane, une femme demande à Praxagora, qui vient de faire une belle harangue, où elle a si bien appris à parler : « Pendant nos émigrations[4], j’habitais sur le Pnyx avec mon mari ; à force d’entendre les orateurs, j’ai appris le métier[5]. » C’est comme cela qu’on devient orateur avant la rhétorique. On écoute les autres, on parle soi-même, on réfléchit sur ces expériences répétées, et l’on se fait peu-à peu à soi-même une théorie plus ou moins vaguement formulée, mais qui est déjà une sorte de rhétorique, puisqu’elle dépasse le pur instinct.

Ce qui paraît avoir été surtout remarquable dans l’éloquence de Thémistocle, c’est d’abord la justesse originale des pensées, ensuite la facilité brillante, l’à-propos, peut-être enfin l’invention rapide de ces idées maîtresses qui organisent, pour ainsi dire, tout un

  1. Vie de Thémistocle, 2, 1.
  2. Ibid., 2, 4.
  3. Plutarque mentionne entre autres un certain Épicyde, δημαγωγὸν ὄντα δεινὸν εἰπεῖν (ibid., 6).
  4. Quand les campagnards de l’Attique, pendant la guerre du Péloponnèse, se réfugiaient à Athènes pour fuir les invasions des Spartiates.
  5. Fêtes de Déméter, 242-244.