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plus que la plupart des aristocrates. Elle croit à ses dieux, elle craint de leur déplaire. Les conseils de la morale ou de la simple prudence ont plus de force à ses yeux en se présentant sous la forme d’un précepte religieux. Les orateurs, sans crainte de déplaire ou de faire sourire, peuvent donner à leur éloquence la gravité majestueuse que la religion communique aux vers d’un Pindare ou d’un Eschyle. Le goût enfin, le goût littéraire proprement dit, est porté dans l’ensemble de la nation à un rare degré de délicatesse et de fermeté. Les monuments, la poésie, les fêtes, tout l’entretient et le cultive. « Nous aimons, dit Périclès chez Thucydide, une beauté simple et une culture intellectuelle exempte de mollesse ; nous apprécions, dans la richesse, plutôt un instrument pour l’action que le prétexte d’un vain étalage[1]. » Ainsi point de faste puéril et barbare, point de vaines spéculations ; partout le sens du réel uni à l’amour de l’idéal, la mesure dans l’éclat et le bon sens dans l’imagination. Devant un public de ce genre, il n’y avait place ni pour la pompe de ce qu’on appela plus tard l’éloquence asiatique, ni pour la force un peu lourde de l’art romain, — ici la force même est vive, agile, à la fois légère et impétueuse, comme l’Achille d’Homère ou comme la Victoire de Samothrace, — ni pour ces grâces pédantesques qui font grimacer notre éloquence au XVIe siècle ; ni pour cette scolastique dont Bossuet lui-même, au début, eut quelque peine à se défendre ; ni enfin pour la banalité molle et informe où se complaît trop souvent l’éloquence parlementaire moderne. Dans l’éloquence athénienne, le flot est pur et brillant autant qu’abondant et rapide.

  1. Thucydide, II, 40, 1 : Φιλοκαλοῦμεν γὰρ μετ’ εὑτελείας καὶ φιλοσοφοῦμεν ἄνευ μαλακίας πλούτῳ τε ἔργου μᾶλλον καιρῷ ἢ λόγου κόμπῳ χρώμεθα.