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CHAPITRE IV. — SOCRATE

tyran n’a pas plus qu’un autre homme la liberté de repousser le langage des gens sensés ; car, en désobéissant aux hommes raisonnables, c’est à la raison même qu’il désobéit, et l’on ne peut violer impunément les préceptes de la raison[1]. S’il ne s’agissait que d’échapper aux hommes, il suffirait parfois de simuler la vertu (bien que le plus sûr, même à ce point de vue, soit encore d’être ce qu’on paraît[2]) ; mais c’est la nature elle-même qui se charge de punir le coupable, et il y a quelque chose de divin dans cette liaison nécessaire de la faute et de la peine[3]. Quand on lit ces théories chez Xénophon, on ne peut s’empêcher de trouver, à vrai dire, que cette sanction naturelle de la loi morale est entendue parfois en un sens un peu extérieur et grossier[4]. On se rappelle alors les admirables passages où Platon, montrant le bonheur idéal du juste torturé[5], exprime sous une forme si différente les idées qui sont pourtant analogues dans leur point de départ, sinon dans leur principe proprement dit, et l’on se demande lequel des deux disciples a le mieux traduit la pensée de Socrate. Il est difficile de répondre avec certitude. Il semble pourtant que si Platon a dû être plus idéaliste que son maître, Xénophon, de son côté, a pu être plus utilitaire, et que la pensée de Socrate n’a été sans doute entièrement reproduite ni par l’un ni par l’autre ; en tout cas, il ne faut pas oublier que, si les paroles de Socrate ont été fidèlement recueillies par Xénophon, il a plutôt, par sa mort, donné raison à Platon[6].

  1. Mémor., III, 9, 12.
  2. Ibid., II, 6, 39.
  3. Ibid., IV, 24.
  4. Par exemple Mémor., II, 1, 33, où la Vertu dit à Héraclès (dans le récit imité de Prodicos) : Ἔστι δὲ τοῖς ἐμοῖς φίλοις ἡδεῖα μὲν καὶ ἀπράγμων σίτων καὶ ποτῶν ἀπόλαυσις· ἀνέχονται γὰρ ἕως ἃν ἐπιθυμήσωσιν αὐτῶν, etc.
  5. Républ., IX, p. 580, D, sqq.
  6. Socrate ne paraît pas avoir considéré comme démontré la sanc-