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ESTHÉTIQUE ; MORALE

proprement dites ; quelques-uns, à des questions de physique (au sens grec du mot) ou de théologie. Nous n’avons pas à suivre Socrate dans le détail de ses vues sur tant de sujets ; mais, sur trois ou quatre, ses conclusions ont une importance particulière et sont vraiment caractéristiques.

Par exemple, c’est un trait essentiel de son esprit que cette préoccupation de l’utile, qui a été le point de départ de toute sa philosophie, et qu’on retrouve d’une manière frappante dans certaines théories où elle semble d’abord inattendue. Sa théorie du beau est, par certains côtés, très curieusement militaire : ce qui fait qu’une cuirasse est belle, c’est la perfection avec laquelle elle s’adapte au corps qu’elle doit protéger. Socrate dirait volontiers que le beau, c’est, non pas, selon le mot, prêté à Platon, la splendeur du vrai, mais plutôt la splendeur du bien, ou, ce qui revient au même, la splendeur de l’utile[1] ; car le bien, dans la langue de Socrate, n’est rien d’absolu : une chose est bonne pour telle ou telle fin et n’est pas bonne en soi ; utile et bon sont synonymes[2].

Même tendance militaire et positive, mêlée d’idéalisme, dans la morale proprement dite. Quel est l’objet de la vie ? En fait, les hommes cherchent leur bonheur. Socrate ne rejette pas cette manière d’envisager la destinée humaine. Il s’y tient, mais il l’étudie dialectiquement, et voici ce qu’il y trouve. Le véritable intérêt de chacun, le seul fondement solide du bonheur, c’est d’être vertueux. Une mauvaise action est toujours punie, non pas seulement par les lois humaines, auxquelles on pourrait se flatter d’échapper, par des lois autrement puissantes et inévitables, qui sont la force même des choses, la logique nécessaire qui gouverne tout. Le

  1. Cf. Mémor., III, 10, 9 et suiv., et IV, 6, 9.
  2. Ibid., IV, 6, 8 (ὠφέλιμος ἀγαθός).