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de l’esprit[1]. Or le meilleur moyen d’assurer pratiquement cette adhésion, c’est de procéder dialectiquement, c’est-à-dire par dialogues, et non par discours suivis. Dans les discours suivis, chers à la rhétorique, il est facile de mêler des choses incertaines ou fausses à d’autres qui sont vraies : le torrent des paroles entraîne tout[2]. Dans la dialectique telle que la conçoit Socrate, chaque idée est envisagée à part et tour à tour, et chacune n’est admise comme vraie que si les deux interlocuteurs sont d’accord pour la juger telle ; Voilà la méthode d’examen qui permet de vérifier la valeur d’une opinion donnée : méthode d’analyse quant au fond, de dialogue quant à la forme. La forme, évidemment, n’a pas ici la même importance que le fond ; l’assentiment d’un interlocuteur pourrait être remplacé par l’adhésion de l’esprit lui-même à ses propres idées. Cependant Socrate tient presque également aux deux choses ; c’est l’assemblage de ce fond et de cette forme qui constitue sa dialectique de vérification ou d’épreuve, sa dialectique critique.

Mais il y a une autre dialectique, celle qui construit la science et l’organise. Aux yeux de Socrate, la science est avant tout une classification. L’univers n’est point un amas d’objets épars et sans lien : c’est un tout, formé d’objets qui ont entre eux des rapports déterminés ; en d’autres termes, c’est un tout intelligible, au moins dans ses parties accessibles à l’homme. La science consiste donc à découvrir ces rapports. Connaître une chose, c’est non seulement savoir ce qu’elle est en elle-même, mais aussi quelle place elle occupe parmi les autres. Il s’agit donc non seulement de la décrire,

  1. Mémor., IV, 6, 15 : Ὀπότε δὲ αὐτος τι τῷ λόγω διεξίοι, διὰ τῶν μάλιστα ὀμοογουμένων ἑπορεύετο, νομίζων ταύτην [τὴν] ἁσφάλειαν εἶναι λὀγου. Cf. I, 1, 13 (la diversité irrémédiable des opinions et l’impossibilité de s’entendre sur rien est un signe de folie).
  2. Platon, Protagoras, p. 334, C, et suiv.