et de fécond dans ce vif élan de curiosité qui entraînait un Thalès, un Anaximandre, un Anaxagore si loin du cercle étroit de l’humanité au risque de quelques chutes. Si les modernes avaient fidèlement obéi à Socrate, la science de la nature ne serait pas née. Voilà le reproche, et il est en grande partie fondé. Il y a cependant plusieurs réserves importantes à faire. Laissons de côté ce qu’il peut y avoir de choquant dans certaines critiques adressées par Socrate à Anaxagore[1] : c’est Xénophon qui les rapporte, et il n’est pas sûr qu’ici l’interprète, en ôtant aux boutades de Socrate leur fantaisie, n’en ait pas altéré le caractère. Quant au fond des choses, il faut songer, pour être juste, que Socrate jugeait non pas la science de l’avenir, mais celle de son temps, et que, si l’effort des premiers physiciens était généreux, il n’y avait rien de sûr ni de méthodique : on comprend qu’un esprit rigoureux en fût offensé. Exiger de lui qu’il distinguât entre l’objet de ces recherches, légitime en soi, et le défaut de méthode qui les gâtait, c’était trop demander à un polémiste original et novateur qui, ayant trouvé à la fois un nouveau domaine à explorer et une nouvelle méthode pour le faire, ne pouvait guère s’empêcher de considérer les deux parties de sa découverte comme inséparables. D’ailleurs, s’il est vrai que Socrate ait rétréci d’un côté le champ de la science, il l’élargit de l’autre, et plus peut-être qu’on ne le dit. La science morale, telle qu’il l’entend, est beaucoup plus vaste que ce qu’on est habitué de nos jours à nommer ainsi : c’est vraiment pour lui toute la science de la vie humaine, même en des points qui n’ont rien à voir avec la morale proprement dite. Ensuite, en subordonnant la métaphysique à la morale, il ne la détruit pas : il la transforme ; il crée la métaphysique religieuse. On peut rejeter ses solutions ; on peut soute-
- ↑ Xénophon, Mémor., IV, 7, 7.