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peuvent s’accorder entre elles : autant de philosophes, autant d’opinions[1]. Quant à l’utilité de ces recherches, elle est nulle et le serait encore même si l’objet n’en était pas insaisissable : car celui qui saurait la cause des saisons ne pourrait pas plus qu’un ignorant les gouverner[2]. Donc toute l’ancienne philosophie grecque a fait fausse route. Socrate est exactement sur ce point du même avis que les sophistes.

Mais il ne conclut pas de là, comme Protagoras, que l’homme est la mesure de toute vérité, ni, comme Gorgias, que toute réalité lui échappe. Il pense seulement que la science humaine ne doit pas être trop ambitieuse, qu’elle ne doit pas viser trop haut, et que la mesure de ce qu’elle peut lui est providentiellement indiquée par la mesure même des besoins de l’homme[3]. Étre utile-à la vie humaine, voila la fin que la science doit se proposer ; et rien ne prouve que l’esprit humain n’ait pas la force de remplir (au moins en partie[4]) ce dessein modeste : l’expérience indique même le contraire.

Si l’utilité est, pour la science, la première condition de sa légitimité, toute étude utile à la vie humaine, quelle qu’en soit l’objet, est légitime. Socrate accepte donc la géométrie, l’astronomie, et, comme nous dirions aujourd’hui, toutes les « sciences », dans la mesure où l’arpenteur, le laboureur, le pilote, le commerçant peuvent en tirer profit. Il admet aussi, et au même titre, les métiers utiles, qui sont une partie de la science, la partie la plus humble. Mais tout cela est secondaire. Pour Socrate comme pour tous les Grecs de son temps, ce qui est surtout utile à l’homme, c’est ce qui lui permettra de vivre heureusement dans la cité,

  1. Xénophon, Mémor., I, 1, 13-14.
  2. Id., ibid..
  3. Ib., ibid., 12 ; IV, 7, 2-3 et 6.
  4. Id., ibid., I, 1, 8.