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côté général et humain de la science médicale. L’intérêt littéraire naît du même coup. Mais le caractère de simplicité du style n’en a pas changé pour cela ; ce qui règne ici encore, c’est une bonhomie tout archaïque, que n’effleure aucun soupçon de rhétorique éloquente et qui exprime avec sérieux, avec clarté, parfois avec une finesse naïve et discrète, des idées que l’auteur juge importantes.

Arrivons donc au fond des choses, puisque aussi bien, c’est à cela surtout qu’Hippocrate s’est attaché. Sans entrer dans le détail des prescriptions médicales, et surtout sans essayer de les discuter, on peut dire que les écrits hippocratiques laissent voir chez leur auteur un état intellectuel fort intéressant : c’est un curieux mélange d’esprit déjà très scientifique et de fautes qui tiennent à la nouveauté de ces tendances positives et au manque d’habitude de les appliquer : il en résulte que la philosophie d’Hippocrate, les principes directeurs de sa pensée, valent souvent mieux que l’emploi qu’il en fait[1]. Ce qui est vraiment admirable chez lui, c’est d’abord l’idée très nette que les lois de la nature sont constantes, qu’elle agissent seules, et qu’expliquer certains faits extraordinaires par une intervention divine particulière, c’est se payer de mots</ref>Ἐμοὶ δὲ καὶ αὐτῷ δοκέει ταῦτα τὰ πάθεα θεῖα εἶναι καὶ τἄλλα πάντα, καὶ οὐδὲν ἓτερον ἕτερου θειότερον οὐδὲ ἀνθρωπινώτερον, ἀλλὰ πάντα ὅμοια καὶ πάντα θεῖα ἕκαστον γὰρ ἕχει φύσιν τῶν τοιούτων καὶ οὐδὲν ἄνευ φύσιος γίγνεται (Des airs, etc., ch. xxii.</ref>. On reconnaît là l’esprit que Thucydide porta le premier dans l’histoire et qui le distingue si profondément d’Hérodote. Comme Thucydide encore, Hippocrate est convaincu que, les mêmes causes agissant toujours, le passé doit s’expliquer par le présent. Les origines de la médecine sont très simples ; elle est née de l’observation d’abord ins-

  1. Sur l’ensemble de la question, voir Chauvet, Philosophie des médecins grecs, Caen, 1886.