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pourtant là que se voit surtout la différence entre cette éloquence primitive et celle qui s’inspire d’un art plus savant ; or c’est là aussi, selon la doctrine d’Aristote, le principal de l’éloquence, car l’art de prouver est l’âme des discours[1]. Une éloquence vraiment mûre et savante est à la fois philosophique et dialectique. Elle a des principes, qui sont d’une part les faits de la politique, de l’histoire, de la psychologie sociale, de la législation, et de l’autre les lois de ces faits, qu’elle rattache aux circonstances particulières du discours. De plus elle sait creuser les idées, les réduire à leurs éléments les plus simples pour leur donner toute la clarté dont elles sont capables ; les grouper en arguments pour en tirer les conclusions ; elle court à son but sans s’attarder, sans se laisser distraire, avec une rigueur logique qui domine l’auditeur et qui l’entraîne. Il n’en est pas de même chez Homère. Les idées générales sont rares, bornées presque toujours à quelques lois religieuses ou à certaines observations morales très simples. La dialectique est courte, superficielle, un peu molle ; l’analyse des idées est à peine indiquée ; l’argumentation se tourne en apologues, en narrations parfois fort belle (par exemple, au IXe chant de l’Iliade, l’allégorie des prières, la chasse du sanglier de Calydon), mais plutôt populaire, à la façon d’Ésope, des Travaux d’Hésiode, des paraboles de Ménénius Agrippa dans Tite-Live ; c’est-à-dire de la démonstration plus suggestive que méthodique, avec une allure parfois traînante, vive seulement par instants sous le coup de la passion jaillissante. Enfin, il faut le répéter, cette éloquence-là ne s’écrit qu’en vers, et elle est fictive ; les discours réels disparaissent avec l’occasion que les a fat naître ;

  1. Aristote, Rhét., I, 1.