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beaucoup de place aussi dans leurs créations. Qu’est-ce donc, d’après cela, que cette éloquence de la Grèce héroïque ?

Quintilien l’admire sans réserve, comme la perfection même de l’art oratoire[1], et les rhéteurs grecs sont du même avis[2]. Il y a pourtant des distinctions à faire. Assurément, les qualités essentielles de l’éloquence grecque sont déjà visibles dans ces discours, et il est aisé d’y reconnaître une race admirablement douée pour la parole : mais on y voit non moins clairement que cette race en est encore à la période des débuts et qu’elle n’a pas fait sa rhétorique. Elle a déjà, en perfection ; la fluidité agréable de la parole, cette facilité coulante et harmonieuse qui résulte naturellement, chez certains peuples du Midi, de la souplesse des organes et de la promptitude de la mémoire[3]. Le défaut de cette qualité, c’est une rapidité trop grande dans le débit, une vivacité bavarde et criarde : c’est par où pèche Thersite[4] ; mais on l’en blâme, et l’instinct délicat de la Grèce est pleinement averti de ce danger. Les orateurs homériques ont la finesse d’esprit qui fait trouver les arguments les plus convaincants les plus appropriés, soit dans l’ordre des choses matérielles et de l’intérêt (cadeaux, etc.), soit dans l’ordre du sentiment et du pathétique[5] Ils ont même un talent remarquable pour enchaîner les idées de la façon la plus naturelle, la plus aisée ils savent déjà les développer, les déployer et les expliquer (explicare) avec clarté et agrément[6]. C’est

  1. Quintilien, X, 1, 47.
  2. Hermogène, Formes du discours, II, 10 ; t. III, p. 375, Walz.
  3. Homère dit de Nestor : Τοῦ καὶ ἀπὸ γλώσης μέλιτος γλυκίων ῥέεν αὑδή. Noter ces mots fréquents, ῥεῖν et μείλιχος. Noter aussi l’expression λεγὸς ἀγορητής.
  4. Iliade, II, 212, 246
  5. Iliade, IX, 252 (prosopopée de Pélée dans le discours de Phénix).
  6. Étudier, à ce propos, le début du discours d’Ulysse à Achille, Iliade, IX, 225-246.