de manière à constituer les êtres particuliers. Les atomes ne naissent ni ne meurent ; mais les êtres particuliers naissent et meurent par l’agrégation et la séparation des atomes. Certaines qualités des choses sont essentielles, d’autres n’existent que par rapport à nous : la densité d’un corps, par exemple, tient au nombre de ses atomes composants ; elle ne dépend pas de celui qui la pèse ; au contraire, les saveurs et les odeurs n’existent que par suite d’une certaine correspondance entre l’objet qui les produit et nos organes.
On sera frappé de voir à quel point ces vues se rapprochent de certaines des conceptions les plus récentes de la science moderne. Ce qu’il y a de moins net, dans la doctrine de Démocrite, c’est tout ce qui regarde le mouvement des atomes. Pourquoi les atomes tombent-ils dans le vide infini ? Comment s’accrochent-ils les uns aux autres ? Qu’est-ce qui détermine leurs groupements ? Démocrite expliquait tout cela tant bien que mal, et en déduisait un système du monde dont le détail a d’ailleurs pour nous peu d’intérêt. Ce qui est capital, au contraire, c’est le principe du système, c’est-à-dire cette conception nettement déterministe et mécaniste qu’Aristote y relève avec insistance pour la combattre[1] et qui est le fondement même de la science moderne. L’erreur de Démocrite, c’est qu'il croit trouer dans son déterminisme une explication totale des choses pas plus qu’aucun ancien, il ne fait à l’inconnaissable sa part. Mais il a du moins, sur le connaissable, les idées fondamentales des modernes, et, quelles que soient ses illusions ou ses erreurs, il ouvre vraiment la route à la science positive de tous les temps.
Dans cette conception de la nature des choses, il ne saurait être question d’une substance spirituelle distincte de la matière ; il n’y a que des groupements
- ↑ Voir notamment Aristote, Phy., II, 8.