Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traits qui forment le caractère original de Thucydide, qualités ou défauts, sont plus marqués encore dans les discours que dans les récits. Les discours sont plus obscurs (c’est le reproche que leur adressait déjà Cicéron[1]) ; ils sont plus travaillés et parfois plus subtils que les récits ; mais en revanche ils sont encore plus pleins de substance, plus profonds, plus pathétiques, plus éclatants aussi et plus hardis. Les discours sont comme la moelle et l’essence même de l’œuvre de Thucydide ; s’il n’avait fait que des récits, nous le connaîtrions assurément comme grand écrivain dans ses principaux traits de précision vigoureuse et fine ; mais ce sont les discours qui nous font le mieux voir, avec les affinités de toute sorte par lesquelles il se rattache à son époque, l’originalité frappante de son génie abrupt et subtil, sommaire et compliqué, puissant et fin.


V


Comme écrivain, Thucydide eut des admirateurs passionnés. Le Syracusain Philistos fut son imitateur parfois son copiste. Démosthène lui-même, on le sait, se pénétra d’abord de l’Histoire de la guerre du Péloponèse et y forma son style. Si grand qu’il soit pourtant, le style de Thucydide ne représente qu'une étape provisoire dans l’évolution du style attique vers la perfection. La technique de la phrase, la pureté du vocabulaire

  1. Cicéron, Orator, 30 : « Ipsæ illæ contiones ita multas habent obscuras abditasque sentendis vix ut intelligantur. » Cf. Denys d’Halic., Sur Thuc., ch. li : εὐαρίθμητοι γάρ τινές εἰσιν οἱ πάντα τὰ Θουκυδίδου συμβαλεῖν δυνάμενοι, καὶ οὐδ’οὗτοι χωρὶς ἐξηγήσεως γραμματικῆς ἔνια.