les idées, comme souvent chez Thucydide, y sont plutôt juxtaposées que subordonnées ; les explications qui complètent l’idée principale sont plutôt entassées parfois que disposées suivant un plan architectural. En outre, ces explications, à leur tour, sont expliquées ; les causes elles-mêmes ont leurs causes que l’écrivain signale, et toujours par les mêmes procédés de juxtaposition, c’est-à-dire sans hiérarchie bien apparente. De là un enchevêtrement logique parfois touffu et formidable. Ajoutons enfin que les idées se pressent avec une abondance extrême ; ces longues phrases sont pleines de sens, et d’un sens profond, mais qui a besoin par lui-même de l’attention la plus réfléchie. En lisant certaines de ces amples et rudes phrases de Thucydide, on se prend parfois à songer à Saint-Simon, qui soulève, lui aussi, d’une main si brusque et si forte, des périodes incorrectes et heurtées. La différence, c’est qu’il y a chez le Français plus de fougue, plus d’emportement, plus de se bile ; tandis que la passion de Thucydide (car il y a toujours une sorte de passion dans cette manière d’écrire), est surtout intellectuelle ; Thucydide est un pur esprit qui lutte contre une pure idée.
On distingue habituellement, quand on parle de Thucydide, entre le style des discours et celui des récits. Denys faisait déjà cette distinction[1], qui est fondée en effet. Le style des récits est en général plus simple que celui des discours. Mais il n’y a pas lieu d’insister beaucoup sur cette différence, d’abord parce qu’on trouverait aisément dans les récits, et surtout dans les résumés généraux qui s’y entremêlent parfois, des passages très semblables aux endroits les plus difficiles des discours, et ensuite parce que la différence même, là où elle existe, n’est guère qu’une différence de degré. Les
- ↑ Sur Thucyd., ch. xv.