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duire après coup des distinctions supprimées par l’écrivain ; celui-ci, dans le courant d’une même phrase, a sauté rapidement d’une idée à l’autre en supprimant les intermédiaires, et les mots résistent à toute analyse grammaticale ; il faut, pour les bien entendre, les compléter et, pour ainsi dire, les espacer : la phrase manque d’air[1]. Ni Gorgias ni Antiphon n’ont rien de pareil, à ce degré du moins.

Ils n’ont pas davantage certaines longues phrases incorrectes et tumultueuses, mais pleines de souffle et vraiment puissantes, par où Thucydide semble préluder parfois à la période encore inconnue. Comme l’a justement fait observer O. Müller, ces longues phrases sont de deux sortes : les unes énoncent d’abord le résultat et y rattachent ensuite, par des propositions secondaires et des participes, tout le détail des causes ou des circonstances ; les autres commencent par les circonstances, les causes, les explications, et finissent par le résultat. La phrase par laquelle s’ouvre l’histoire de Thucydide appartient au premier genre ; la deuxième phrase du second chapitre est de l’autre sorte. Cet effort pour embrasser d’une seule vue et pour enfermer dans un seul « cercle de mots » (uno circuitu verborum) un fait et toutes ses causes, est assez fréquent. Presque toujours cet effort est laborieux. Ces longues phrases sont obscures, et pour les biens pénétrer dans tous leurs détails, pour saisir le rapport de toutes les idées, il faut, comme le disait O. Müller, les relire deux fois. Cela tient à plusieurs raisons. D’abord,

  1. En voic i deux ou trois exemples entre beaucoup d’autres : τὰ μὲν οὗν παλαιὰ τοιαῦτα εὗρον, χαλεπὰ ὄντα παντὶ ἑξῆς τεκμηρίῳ πιστεῦσαι (I, 20, 1), c’est à dire : χαλεπὰ ὄντα < σαφῶς εὑρεῖν ; χαλεπὸν γὰρ ἧν > παντὶ ἑξῆς, etc. ; ou encore : ἑώρων δὲ ἀλλήλους ὡς ἐν σελήνῃ εἰκὸς τὴν μὲν ὄψιν τοῦ σώματος προορᾶν, τὴν δὲ γνῶσιν τοῦ οἰκείου ἀπιστεῖσθαι (VII, 44, 2), c’est-à-dire… ὡς ἐν σελήνῃ εἰκος < εἰκὸς γάρ ἐστιν ἐν σελήνῃ > τὴν μὲν ὄψιν, etc.