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à une phrase même isolée de Thucydide, par la plénitude du sens, un air de rapidité extraordinaire. C’est ce que Denys d’Halicarnasse appelle τὸ τάχος τῆς σημασίας ou τῆς ἀπαγγελίας[1]. Thucydide, dit-il, s’applique à dire le plus de choses possible dans le moindre nombre de mots ; il resserre et ramasse plusieurs pensées en une seule, et au moment où l’auditeur attend de lui une nouvelle explication, il l’abandonne[2]. Cette brièveté résulte souvent d’une ellipse. L’une des plus fréquentes est celle du second terme de la comparaison après un comparatif[3]. Quelquefois le sujet manque[4], ou bien c'est l’antécédent du relatif, malgré la dureté de construction qui en résulte[5]. Ailleurs l’emploi du pluriel neutre indéterminé dispense d’exprimer un sujet personnel[6]. Thucydide emploie, presque comme les poètes, l’abjectif attributivement pour marquer le résultat obtenu[7]. Dans l’indication d’une cause, il supprime les termes qui expriment le rapport logique des idées, et juxtapose celles-ci brusquement[8]. Il va plus loin encore : assez souvent, deux idées qu’un Lysias ou un Isocrate distingueraient nettement l’une de l’autre se pressent et s’amalgament, pour ainsi dire, dans l’imagination de Thucydide, au point de se confondre presque dans une phrase unique où le lecteur est obligé d’intro-

  1. IIe lettre à Ammée, 2 ; Sur Thuc., ch. xxiv.
  2. I, 68, 1 (πλέονι) ; 69, 5 (δυνατωτέρους) ; etc.
  3. I, 1, 1 (τὸ δὲ καὶ διανοούμενον : suppl. ξυνίστασθαι) ; II, 11, 8 (ἢ τὴν ἑαυτῶν ὁρᾶν : suppl. γῆν δῃουμένην) ; etc.
  4. I, 3, 2 (ἐπαγομένων αὐτούς).
  5. II, 40, 4 (δι’εὐνοίας ᾧ δέδωκε).
  6. I, 7, 1 (πλοϊμωτέρων ὄντων).
  7. I, 49, 5 (καταδιώξαντες < τὰς ναῦς > σποράδας ἐς τὴν ἤπειρον).
  8. II, 3, 1 (οὐ γὰρ ἑώρων ἐν τῇ νυκτί = οὐ γὰρ ἑώρων, ὡς εἰκὸς ἦν νυκτὸς τότε οὔσης).