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qui soit plus intelligible en français), cette rudesse (τραχύτης) du style de Thucydide, consiste avant tout dans la manière dont les mots s’y enchaînent au point de vue de la facilité ou de la difficulté qu’on peut avoir à les prononcer : c’est une question de consonnes et de voyelles. Denys note aussi le rythme du discours, c’est-à-dire la valeur prosodique des syllabes et la prédominance des pieds métriques les plus lourds sur les plus légers. Ces finesses nous échappent aujourd’hui en grande partie. Mais l’âpreté grave de ces sons n’est que l’image extérieure d’une rudesse d’enchaînement plus intime et moins matérielle. Celle-ci tient au sens. La syntaxe concourt avec la prosodie pour produire sur le lecteur une impression de hardiesse rude : l’une agit sur l’esprit comme l’autre sur l’oreille. Le choix même des mots, dont nous venons de parler, contribue à cet effet, par un caractère de précision laborieuse qui retient l’attention sur les détails. La manière dont ces mots s’assemblent l’accroît encore.

Ce qui rend le style aisé et coulant, c’est d’abord la netteté grammaticale, ensuite la netteté de la construction. Celle-ci est le principal élément de ce que les Latins appelaient concinnitas, c’est-à-dire un certain arrangement d'une symétrie élégante. Thucydide, soit dans le détail grammatical de la phrase, soit dans la construction, vise bien moins à la netteté agréable qu’au relief et à l’effet.

En ce qui est de la grammaire proprement dite, les libertés abondent chez Thucydide. Par exemple, rien de plus commun chez Thucydide que la syllepse ; après un nom de ville au singulier, on trouve brusquement le pluriel, qui représente les habitants de la ville ; ou bien le sujet change à l’improviste : on attendait un adjectif masculin pluriel, se rapportant à deux adversaires précédemment désignés ; arrive un neutre pluriel, avec