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tion entre les différentes parties du discours à laquelle, déjà de son temps, les rhéteurs commençaient à se complaire, et qui faisait la réputation d’un Théodore de Byzance ou d’un Thrasymaque de Chalcédoine. Il arrive à Thucydide de supprimer l’exorde, ou de le faire si long qu’on ne sait plus si ce n’est pas déjà le premier point du discours[1]. Mais ce qui est vrai aussi, c’est que, si l’on croit, avec Aristote, que l’essentiel de l’art oratoire est dans l’argumentation, l’éloquence de Thucydide, par la netteté avec laquelle elle pose les questions, par la logique serrée dont elle se sert pour les résoudre, est déjà, selon le mot de Marcellin, bien près de la perfection. On comprend que Démosthène s’en soit nourri. Le plus grand orateur de l’antiquité a cela de commun avec Bossuet que son éloquence, si souple et si libre dans sa maturité, s’est d’abord formée par le dur apprentissage d’une dialectique laborieuse. Il est glorieux pour l’éloquence de Thucydide d’avoir enseigné au maître de la tribune athénienne l’art d’établir ces solides dessous logiques sur lesquels devait se répandre ensuite l’éclat brillant et brûlant de sa véhémence oratoire.

§ 2

On sait que Thucydide passe pour avoir été l’élève d’Antiphon. Ce qui est certain, c’est que l’influence non seulement d’Antiphon, mais aussi de Gorgias et de Prodicas, est très sensible dans son style. Il est vraiment, dans le sens large du mot, le disciple de tous ces maîtres. C’est à leur école, c’est dans leurs livres que lui-même a appris à écrire. Comme eux, il aime avant tout la précision, la netteté, la force, la brièveté éloquente, la noblesse du style. Pour atteindre ces qualités,

  1. Cf. Blass Die attische Beredsamkeit, t. I, p. 236.