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générales dont nous avons parlé plus haut. Dans le tableau, par exemple, de la corruption des mœurs athéniennes à la suite de la peste, ou dans la peinture du désordre moral causé en Grèce par la guerre, c’est une chose admirable que la subordination de tous les détails à l’effet d’ensemble. C’est là de l’histoire éloquente dans le vrai sens du mot, non par un vain déploiement de rhétorique artificielle, mais par la concentration pathétique de la pensée sur le sujet qu’elle en a vue.

Ces qualités éloquentes avaient leur place tout indiquée dans les harangues que Thucydide entremêle à ses récits, et qui sont peut-être, selon le mot de Denys d’Halicarnasse, la partie de son ouvrage où la force de son génie éclate le mieux[1].

En ce qui concerne la composition (qui nous occupe seule en ce moment), on peut affirmer qu’après Thucydide l’éloquence n’a plus rien d’essentiel à apprendre quant à l’art d’enchaîner avec force une série de déductions convaincantes. Ce n’est pas à dire pourtant que les discours de Thucydide, même à ce point de vue particulier, soient de vrais discours de tribune, en état d’être prononcés sans aucun changement devant une assemblée délibérante. Ils sont trop pleins de substance pour cela. La partie générale et philosophique y surabonde. La philosophie ne s’y borne pas à soutenir l'éloquence ; elle s’y étale trop à la surface, et d’une manière trop abstraite. Dans un discours vraiment destiné à la tribune, il faudrait que cette force de pensée consentît davantage à s’exprimer par des exemples concerts et se tournât parfois en mouvements oratoires. Cette plénitude philosophique est la conséquence directe de la conception même dont les discours de Thucydide sont sortis : chaque discours doit résumer, sous une

  1. Jugement sur Thucydide, ch. xxxiv : τῶν δημηγοριῶν ἐν αἶς οἴονταί τινες τὴν ἄκραν τοῦ συγγραφέως εἶναι δύναμιν.