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enfin la catastrophe suprême, tout cela saisit l’imagination du lecteur avec une force incomparable. L’histoire du siège de Platée n’est pas moins pathétique. Au-dessous de ces longs récits, une foule de narrations très courtes, batailles de terre ou de mer, sièges, surprises guerres civiles, massacres, présentent le même genre de qualités. Et ce n’est pas par de grands étalages de sensibilité que Thucydide arrive à cette puissance d’expression : c’est avant tout par le choix du détail, par la rigueur de la composition, par le mouvement continu de l’ensemble. Rien de plus sobre, rien de plus impersonnel même que le pathétique de Thucydide. Mais on sent dans la marche inflexible du récit je ne sais quoi d’inexorable et de fatal qui émeut plus que ne feraient des élans passionnés.

Tous les récits, à vrai dire, chez Thucydide, n’ont pas cet intérêt. À côté de ces morceaux dramatiques, on trouve parfois des séries de chapitres où ne sont racontés que des événements militaires d’importance médiocre, présentés d’une manière sèchement chronologique. Cette inégalité littéraire tient-elle à l’état d’inachèvement où l’œuvre de Thucydide est restée ? C’est peu probable ; il est à croire que le travail définitif de l’historien n’eût guère modifié ce trait particulier de son livre. Il y a là une raideur un peu gauche qui appartient dans tous les arts aux époques primitives. Quand les événements sont intéressants par eux-mêmes, Thucydide en fait des narrations admirables ; quand ils n’offrent qu’un intérêt de pure exactitude, Thucydide n’a pas encore cette souplesse de plume qui sait en pareil cas sauver la sécheresse du fond par la grâce rapide et légère de la forme. Il reste précis et ferme, mais il est monotone et fatigant.

À côté des narrations proprement dites, la même rigueur de composition fait la beauté de ces peintures