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à loisir soit avant d’être prononcés, soit après. Notre étude de l’éloquence grecque pourrait donc commencer, ce semble, avec les premiers monuments de la rhétorique. Il est pourtant nécessaire de remonter plus haut. Avant d’écrire des discours, la Grèce en a beaucoup improvisé. Elle a parlé, elle a été éloquente pendant des siècles, sans avoir pour cela de littérature oratoire. Parler, en effet, est une fonction naturelle, comme de respirer, et, chez une race bien douée, parler avec éloquence est une faculté qui se développe très vite. Mais écrire de beaux discours est une chose toute différente. Des siècles peuvent s’écouler avant qu’on en soit capable, avant qu’on en ait même l’idée. Pourquoi écrire un discours, en effet ? Pour laisser le souvenir précis et authentique des raisons qui ont touché une assemblée politique ou judiciaire ? Mais c’est là une idée qui ne peut naître qu’à une époque de culture historique avancée. Pour la beauté littéraire du discours ? Pour l’enseignement des futurs orateurs ? De tels desseins supposent encore un développement de la conscience littéraire et de la théorie oratoire qui ne peut être que l’effet d’une longue pratique. Le voulût-on faire, d’ailleurs, il ne serait pas facile d’y réussir. Se montrer éloquent dans le feu de l’improvisation ou l’être la plume à la main sont choses fort différentes. Retrouver après coup l’inspiration oratoire, ou la devancer par une préparation écrite, est un travail qui met en jeu d’autres facultés et suppose une autre gymnastique intellectuelle que celle de l’orateur proprement dit. Il existe la même différence à peu près entre ces deux sortes d’éloquences qu’entre savoir bien dire quand on parle pour son propre compte et retrouver cette même justesse de diction quand on lit à haute voix l’œuvre d’un autre. « Il y en a, dit Pascal, qui parlent bien et qui n’écrivent pas bien : c’est que le lieu, l’assistance,