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les orateurs eux-mêmes qu’un peu plus tard, et toujours exceptionnellement. C’est ensuite que ces discours ne sont pas non plus ce qu’on appellerait aujourd’hui des comptes rendus analytiques, c’est-à-dire des résumés où il n’entre rien qui n’ait été réellement dit. Mais ils ne sont pas davantage des exercices purement littéraires n’ayant qu’un rapport éloigné avec la réalité. On pourrait les définir des reconstructions idéales dans lesquelles l’historien, s’appuyant sur quelques données positives, mais fragmentaires, les complète en vertu d’une sorte de logique intime que sa connaissance des personnes et des choses lui permet de ressaisir et de suivre. Thucydide, dans la composition de ces harangues, n’a donc pas entendu exclure une certaine part de divination. Il ne s’est pas cru obligé de donner simplement à son lecteur quelques maigres citations authentiques, quelques mots échappés à l’oubli, en les accompagnant d’une brève analyse des conclusions soutenues par l’orateur ; il a fait franchement œuvre d’artiste, mais d’artiste employant toute la puissance de son imagination à ressusciter aussi véritablement que possible la pensée et la parole de ces personnages. Voilà ce qui ressort de son propre aveu.

Est-ce là tout cependant, et la part de l’artiste n’est-elle pas encore plus grande ? Il suffit d’examiner de près le livre de Thucydide pour s’apercevoir d’un fait que les commentateurs et les critiques modernes n’ont pas manqué de relever ; c’est que, dans les discussions les plus importantes, dans les débats qui ont dû amener à la tribune (on le voit par Thucydide lui-même) un nombre assez considérable d’orateurs différents, ou plusieurs fois le même orateur, le nombre des discours rapportés par l’historien reste toujours extrêmement restreint ; souvent il n’en donne qu’un, jamais plus de deux. De plus, comme l’a fait remarquer avec justesse