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large, la création personnelle de l’historien ; on peut dire avec vérité qu’ils sont au moins autant son œuvre que celle des personnages auxquels il les attribue : double trait qui sépare profondément la méthode historique de Thucydide de celle des modernes. En faisant ainsi, Thucydide suit une tradition littéraire ancienne, à laquelle il apporte cependant des modifications originales et profondes.

L’origine de cette tradition littéraire remonte à l’épopée, qui a été, d’une manière générale, la première éducatrice de l’esprit grec et, plus particulièrement, une forme en quelque sorte anticipée de l’histoire. L’épopée grecque est pleine de discours[1].

Ce qui avait été chez Homère un pur instinct devint après lui une forme littéraire. Le pli était pris, et il fallut de longs siècles pour l’effacer. Laissons de côté les logographes, que nous connaissons mal. Mais Hérodote recueillit, en matière de discours, la tradition de l'épopée, et il fit à son tour dialoguer et parler ses personnages ; avec une grande différence pourtant. La plupart des longs discours ou des grands dialogues qui se rencontrent chez Hérodote doivent manifestement leur importance à une autre préoccupation que celle de rendre dramatiquement une scène dramatique par elle-même : ce sont comme des intermèdes philosophiques et religieux qui interrompent la continuité du récit proprement dit. Une fois même, la philosophie politique y a fait, grâce à lui, son apparition : Hérodote a montré les seigneurs perses discutant sur les avantages relatifs de la monarchie, de l’aristocratie et de la démocratie[2]. Mais cet exemple, à vrai dire, reste, dans son œuvre, presque isolé et en tout cas exceptionnel[3].

  1. Cf. J. Girard, Essai sur Thucydide, p. 42.
  2. Hérodote, III, 80.
  3. L’entretien de Démarate avec Xerxès (VII, 102 sqq.) est un autre exemple de belle psychologie politique : le caractère de la Grèce opposé