sieurs saisons consécutives. Il est cependant facile de voir ce que son exposition pourrait y gagner parfois en élégance et en agrément. À un point de vue purement littéraire, il serait assurément permis de critiquer cette perpétuelle division par étés et par hivers, qui, en promenant sans cesse le lecteur sur tout le théâtre de la guerre, morcelle la narration et interrompt plus d’une fois des récits qu’une méthode un peu plus libre aurait permis de présenter dans leur ensemble. Ce n’est pas tout : au lieu de chercher à dissimuler l’inconvénient de ces sections multipliées, Thucydide l’accuse plutôt par une certaine raideur de forme ; il n’a nul souci des transitions, si chères à tant d’écrivains médiocres ; brusquement, sèchement, il passe du Péloponèse en Thrace ou de la mer Égée en Sicile. Son défaut, si c’en est un, consiste bien plutôt à avoir exagéré que négligé la netteté chronologique. Où donc trouver en tout cela cette liberté semi-poétique dont nous parlions tout à l’heure[1] ?
Nous ne la trouverons pas davantage dans les morceaux assez nombreux où l’historien résume en quelques touches énergiques les principaux traits qui caractérisent un personnage, une période, un groupe d’hommes, un ensemble de faits. Ces tableaux d’ensemble, ces résumés généraux, sont un des procédés ordinaires de son art. À l’occasion, par exemple, des troubles de Corcyre, Thucydide trace un tableau général des mœurs grecques de ce temps, et montre de quel fonds, pour ainsi dire, ces troubles sont sortis. Au moment où il va raconter la retraite de l’arme de
- ↑ M. Müller-Strübing, dans une étude intitulée Das erste Jahn des Peloponesischen Krieges (Jahrbücher für Philologie, t. 127, 1883, p. 577 sqq. et 657 sqq.), a essayé de prouver que Thucydide avait quelque peu altéré, pour des raisons d’art, la date de la prise de Platée. Sa démonstration est plus ingénieuse que probante. Cf. ma Notice sur Thucydide, p. 66-68.