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éloge pour sa sagesse[1]. En revanche, le succès de Cléon à Pylos ne l’éblouit pas, et il juge, même après la victoire, que sa promesse de vaincre en moins de vingt jours était d’un fou[2].

Mais ici une nouvelle question se présente. En parlant ainsi de Cléon, Thucydide, bien loin de faire preuve de liberté d’esprit, n’obéit-il pas à une prévention violente contre le chef de la démocratie radicale d’Athènes, ou même à un sentiment de rancune personnelle contre un homme qui avait peut-être été pour quelque chose dans le décret d’exil de 424 ? Ces idées ont été exprimées de nos jours par des défenseurs zélés de la démocratie athénienne.

Que Thucydide ait été peu favorable en général à la politique de Cléon, cela va sans dire, étant données ses propres opinions : c’était son droit. Qu’il ait en outre voulu personnellement peu de bien à Cléon, on peut encore l’admettre sans difficulté, s’il est vrai (ce que nous ignorons) que celui-ci ait été, en quelque mesure, l’instigateur de la sentence d’exil rendue contre lui. Mais là n’est pas la question. Quels qu’aient pu être les sentiments intimes de Thucydide, il s’agit seulement pour nous de savoir si le langage qu’il tient sur l’orateur démocrate lui est dicté par sa raison ou par sa passion. Voilà le point précis du débat. Or que dit-il de lui ? Il l’accuse d’abord de violence[3]. Les éléments d’une information complète nous font défaut ; mais il est permis de dire, avec M. Stahl, qu’à moins de nier le fond même des deux ou trois récits de Thucydide qui se rapportent à la politique de Cléon (ce que per-

  1. Thucydide, VIII, 24, 5 : εἰ δέ τι ἐν τοῖς ἀνθρωπείοις τοῦ βίου παραλόγοις ἐφάλησαν, μετὰ πολλῶν οἷς ταὐτὰ ἔδοξε, τὰ τῶν Ἀθηναίων ταχὺ ξυναιρεθήσεσθαι, τὴν ἀμαρτίαν ξυνέγνωσαν.
  2. Thucydide, IV, 39, 3.
  3. Thucydide, III, 36, 6 (ὢν καὶ ἐς τὰ ἄλλα βιαιότατος τῶν πολιτῶν).