sait bien pourtant que la spéculation ne suffit pas et qu’il faut encore dans la vie politique de la hardiesse (τόλμα), de l’énergie (τὸ καρτερόν). Mais ces qualités mêmes ont besoin d’être gouvernées par l’intelligence et peuvent, jusqu’à un certain point, être suscitées par elle. Une demi-clairvoyance, il est vrai, qui fait voir les difficultés, les embarras d’une entreprise, peut engendrer l’indécision ; mais une clairvoyance supérieure, en démêlant bientôt, au milieu des mille raisons d’agir ou de ne pas agir qui se présentent d’abord à l’esprit, la raison décisive et topique, supprime l’hésitation et donne à la volonté la lumière avec la force[1]. Par cette glorification de l’intelligence, Thucydide ressemble à Socrate, qui subordonnait à la raison la morale elle-même, faisant de la vertu une science, et du bien, comme de l’utile, une partie du vrai. Mais il est surtout le théoricien profond de l’âme grecque et attique, si intelligente, si déliée, et qui n’avait vraiment qu’à s’observer elle-même pour donner dans son idéal le premier rang à la raison.
En revanche, la morale proprement dite tient peu de place dans l’histoire de Thucydide ; la valeur absolue des actions humaines au point de vue du juste et de l’injuste le préoccupe médiocrement. Ce n’est pas qu’il ne trouve à l’occasion de belles paroles sur la vertu, sur la bonté[2], sur la candeur, sur la générosité[3], sans parler du courage militaire et du patriotisme. Quand il parle de la démoralisation produite à Athènes par la
- ↑ Thucydide, II, 40, 3 : διαφερόντως καὶ τόδε ἔχομεν ἔστε τολμᾶν τε οἱ αὐτοὶ μάλιστα καὶ ὦν ἐπιχειρήσομεν ἐκλογίζεσθαι ὃ τοῖς ἄλλοις ἀμαθία μὲν θράσος, λογισμὸς δὲ ὄκνον φέρει.
- ↑ Sur la bonté (qu’il appelle ἀρετή), cf. notamment I, 39, 2 ; 69, 1 ; II, 40, 4 ; 51, 5 ; 73, 3 ; etc. Voir Classen, Einl., p. lxv.
- ↑ {{lang|grc|Τὸ εὔηθες, οὗ τὸ γενναῖον πλεῖστον μετέχει, καταγελασθὲν ἠφανίσθη (III, 83, 1).