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à fait précises, au lieu de ces indications forcément un peu vagues, « à l’époque où le blé est en herbe », « à l’époque où le blé est mûr », etc. Mais la pensée à laquelle il obéissait était essentiellement scientifique dans son principe. Ce n’est pas sa faute si le progrès, en toutes choses, s’achète au prix de beaucoup d’efforts et de beaucoup d’échecs.

Si la chronologie est l’un des éléments les plus nécessaires à considérer pour distinguer les effets des causes, il n’en est pas moins vrai que le seul ordre des événements ne suffit pas toujours à les expliquer. Au-delà des faits extérieurs et tangibles, pour ainsi dire, que l’histoire enregistre à leur date, il y en a d’autres, d’un caractère plus général ou plus durable, qui échappent aux cadres d’une chronologie rigoureuse, et qui sont le plus souvent les conditions essentielles ou les premiers moteurs de ceux qui se déroulent d’une manière plus apparente sur la trame du temps. Tel est, par exemple, l’état des ressources matérielles dont une cité peut disposer, la bonne ou la mauvaise organisation de ses forces, le degré de préparation de ses soldats. Cette sorte de faits généraux et permanents joue, pour ainsi dire, le rôle de la cause première dans une histoire d’où le surnaturel est exclu. Aussi Thucydide ne manque pas de leur accorder une grande place dans son livre.

Les ressources matérielles, financières, militaires, navales des principaux belligérants sont indiquées par lui à diverses reprises avec précision[1].

Il ne, s’en tient pas là. L’argent, les flottes, les armées, sont des instruments d’action nécessaires, mais qui n’ont toute leur valeur que si l’intelligence et la volonté les manient ; à côté des forces matérielles, il y a les forces morales, qui méritent de la part de l’historien la même analyse attentive et clairvoyante. L’époque à

  1. Cf. surtout, I, 140-145, et II, 13.