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conservé dans les archives du Μητρῶον, et il semble que le rôle de l’historien était simplement de la transcrire : c’est ce qu’un moderne n’aurait pas manqué de faire. Thucydide, au lieu de la copier, la refait à sa manière, et donne au lecteur, sous le nom de Nicias, une composition qui est de Thucydide[1].

À défaut de documents authentiques, l’historien doit recueillir des témoignages. Il nous est impossible aujourd’hui, dans la plupart des cas, de savoir sur quels témoignages Thucydide a fondé ses récits et quel usage il en a fait. Mais ce qu’on peut dire avec certitude, c’est qu’il a fort bien connu ses devoirs et qu’il déclare les avoir fidèlement remplis. « Quant aux événements de la guerre, dit-il dans sa préface[2], je n’ai pas cru qu’il fût suffisant de m’en tenir aux affirmations du premier venu ni à de simples suppositions ; j’ai dit ce que j’avais vu moi-même et, quand j’ai dû m’informer auprès d’autrui, je l’ai fait avec toute l’exactitude scrupuleuse dont j'étais capable. » Et ailleurs[3] : « J’ai fait tous mes efforts pour savoir les choses avec précision ; exilé de ma patrie pendant vingt ans, à la suite de mon commandement à Amphipolis, j’ai pu voir de près les affaires de deux partis, non seulement celles d’Athènes, mais aussi, grâce à mon exil, celles du Péloponèse, et celles-ci même avec plus de loisir encore que les autres. » C’est donc une véritable enquête contradictoire que Thucydide a voulu faire sur les événements de la guerre ; il a interrogé tous les témoins et entendu

  1. C’est pour cela qu’au sujet des différences entre le texte officiel du traité mentionné plus haut et le texte transmis par Thucydide, il ne faut pas trop se hâter de dire, avec Kirchhoff, qu’elles prouvent l’état de corruption de nos manuscrits. Thucydide n’avait évidemment pas les mêmes idées que nous en matière de collation de textes. C’est aussi l’opinion de Classen et de Mahaffy (Hist. of Greek Literature, t. II, p. 121).
  2. Thucydide, I, 22, 3.
  3. Thucydide, V, 26, 5.