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Mais surtout il goûte les maîtres de l’expérience pratique, de la discussion fine et vigoureuse, de l’éloquence qui cherche l’éclat dans la netteté même de la pensée, un Périclès, un Protagoras, un Gorgias, un Antiphon.


§ 2


De là sa conception de l’histoire.

Si les faits sont liés par des lois permanentes et nécessaires, la connaissance des causes et des effets dans le passé peut faire prévoir le retour des mêmes effets produits par les mêmes causes, selon la règle des choses humaines(κατά τὸ ἁνθρώπειον)[1]. L’histoire n’a pas à satisfaire une vaine curiosité ; elle n’est pas non plus une œuvre édifiante : elle est un enseignement scientifique et pratique, une œuvre d’un profit solide et durable, κτῆμα ἐς ἀεί[2]. Les traducteurs qui rendent ce mot célèbre par l’expression inexacte « un monument durable », comme si l’original portait μνῆμα ἐς ἀεί, enlèvent sans s’en douter à la pensée de l’historien toute sa nouveauté et tout son prix. Il n’y a rien là d’un exegi monumentum à la façon des poètes ; c’est la promesse ferme et simple d’un savant qui connaît l’utilité de la science.

Mais, pour que l’histoire atteigne son but, il faut que l’historien sache son métier. Son premier devoir est d’apporter à sa tâche l’esprit critique. Il ne suffit pas, pour découvrir la vérité, de recueillir de toutes mains les informations sans les contrôler, ἀβασανίστως[3] ; il faut les éprouver à la pierre de touche, les soumettre à une sorte d’enquête judiciaire (car le mot βασανίζειν éveille précisément en grec ces deux idées).

  1. Thucydide, I, 22, 4 ; II, 48, 3.
  2. Thucydide, I, 22, 4.
  3. Thucydide, I, 20, 1.