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dans son histoire. Thucydide est tout simplement un esprit ferme et positif, qui n’aime pas à parler de ce qu’il ne sait pas clairement. M. Stahl lui-même, plus prudent que M. Classen, me paraît exagérer la signification de certains mots, et surtout accepter trop facilement comme l’expression des sentiments propres de Thucydide des paroles qui traduisent surtout ceux de ses héros, par exemple de Nicias (le religieux, le superstitieux Nicias) ou des habitants de Mélos[1]. M. Stahl conclut de ces passages que Thucydide croyait à l’intervention des dieux dans certaines affaires humaines. On en conclurait peut-être aussi légitimement qu’à ses yeux cette intervention était fort obscure, fort problématique, et, qu’il ne fallait pas trop y compter. Pour rester dans la juste mesure, je dirais volontiers, avec M. Jules, Girard, « qu’il n’y a point « sans doute » chez Thucydide d’impiété ni d’irréligion », mais qu’on risquerait, si l’on dépassait cette formule toute négative, de « trop s’avancer[2] ».

À vrai dire même, Thucydide paraît beaucoup plus soucieux de prémunir son lecteur contre les excès de la superstition que contre les excès de l’incrédulité. Quelle que soit en effet son opinion sur la puissance divine en général, il est manifeste qu'il ne croit ni aux présages ni aux oracles. On a dit qu’il faisait assez souvent mention de cet ordre de faits pour qu’on ne puisse croire qu’il les méprisât absolument[3]. L’examen des textes conduit à une conclusion différente. Évidemment les présages et les oracles tenaient encore trop de place dans les pensée et dans la vie des contemporains de Thucydide pour qu’il fût possible à un historien véridique de n’en faire aucune mention. Mais il

  1. Thucydide, VII, 77, 5 ; V, 104 ; 105, 1-2 ; 112.
  2. Essai sur Thucydide, (2e édit.), p. 259, note 3.
  3. Classen, Einleit., p. iix ; Stahl, de Thucydidis vita et scriptis, p.xviii.