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§1

Aux yeux d’Hérodote, la vie humaine est un drame conduit à son dénouement par la divinité, suivant certaines lois générales qui réservent à la moralité humaine le principal rôle, mais qui laissent quelque place au caprice des dieux ; l’histoire est une suite de miracles gouvernés surtout par une pensée morale. Aux yeux de Thucydide, la vie humaine est un ensemble de faits qui s’enchaînent suivant des lois nécessaires, toujours les mêmes, sans aucune intervention extérieure et accidentelle de la divinité ; où la moralité humaine joue un rôle sans doute, mais bien moins parce qu’un acte immoral appelle un châtiment théologique, un jugement de la Providence, que parce qu’il est en soi, presque toujours, un acte inintelligent, un acte qui méconnaît la liaison scientifique et nécessaire des choses. La philosophie de Thucydide ressemble à celle d’Anaxagore et d’Hippocrate. L’Esprit, le Νοῦς d’Anaxagore, n’agit qu’une fois, pour ainsi dire, à l’origine des choses, à peu près, comme le Dieu de Descartes, qui donne au monde une chiquenaude et laisse ensuite les lois de la mécanique accomplir en paix leur œuvre. Hippocrate¤, disait : « Il n’y a pas, suivant moi, de maladies plus humaines ou plus divines les unes que les autres ; toutes sont semblables en ce point et également divines ; chacune est selon la nature de ces choses, et rien ne se fait contre la nature[1]. » Thucydide est de cette école. Il aurait put dire avec Hippocrate qu’en histoire non plus il n’y a pas de faits plus divins les uns que les autres ; tous sont également divins et également naturels. Point de miracles ni de merveilleux ; rien que des causes secondes toujours les mêmes, aussi

  1. Hippocrate, Περὶ ἀέρων καὶ τόπων, C., 22.