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52i CHAPITRE XII. — ARISTOPHANE

ces coups de fouet superbes et bruyants que le vieux Cratinos fait résonner à travers la ville. C'est aux puis- sants du jour qu'il vise, parce que ceux-là seuls sont dignes de lui : à Cléon, devant qui tout tremble, à Lama- chos, dont le nom même a quelque chose do guerrier, au peuple enfin, c'est-à-dire au maître souverain, au peuple ([ue tout le monde flatte et dont tout le monde a peur. Voilà des sujets qui ne sont pas à la portée du premier venu. Cela est autrement fier et retentissant que les tra- vestissements burlesques et démodés de Magnés, dont on est las, ou que les rêves fantastiques de Cratès, dont on se contente de sourire. Aussi quel orgueil naïf et ju- vénile dans ses parabases * ! L'idée intime qu'il a do lui- même, l'ambition des grandes causes et l'enivrement de la lutte qu'il a voulue et provoquée, le plaisir ardent de défier les coups et de nier ceux qu'il reçoit, la joie vive et hautaine d'être quelqu'un dans la cité, de s'y faire craiadre et admirer, d'être connu déjà des alliés comme un protecteur, et avec cela la conscience du génie comi- que, l'assurance imperturbable d'une haute supériorité de nature, n'est-ce pas là ce qui éclate chaque année dans ses fiers et ironiques discours des Lénéenncs et des Dionysies ? Si le poète était l'interprète d'une coterie quelconque, s'il allait recueillir pour alimenter son œuvre ce qu'on chuchote çà et là dans les hétairies, aurait-il celte spontanéité charmante, cet entrain et cette fougue ? Il suffit do l'écouter pour en juger : tout cela lui vient du cœur et de l'imagination. Le rôle qu'il a pris est celui qui convient le mieux à son génie, celui (|ui fait le plus brillamment valoir tous ses dons, non seulement la puissance satirique de l'esprit, mais Tim- pertincnce tapageuse qui est la forme de son courage et

1 . Achanitms, 500 : To -^açj 8:xaiov 016s xa\ TpuY<p8ta. Guêpes, 1043, il se dit àXe^txaxov Tr,ç -/(opa; TrjeTÔe xaOaprrjV. Voyez les parabases des

Chevaliers, des Nuéfs.

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