FORMES PRIMITIVES DU SENTIMENT TRAGIQUE 27
terpréter librement le symbolisme populaire. Dans ce culte, plus que dans aucun autre en Grèce, on trouve donc ce qui fait les grandes religions : une occasion de hautes pensées, la révélation d*une puissance supérieure, le mystère qui s'impose à la contemplation et que Ton sent inflni à mesure qu'on essaie de le pénétrer. Et d'au- tre part aussi, tout ce qui fait les religions populaires : à savoir les manifestations extérieures, l'appel aux senti- ments exaltés, l'impulsion violente, chère au croyant. Admirablement variée, la légende de Dionysos est pleine de joie et de douleur en même temps. Sous un de ses aspects, c'est une passion; sous l'autre, c'est un triomphe. Par là, elle remuait les âmes comme rien ne les avait encore remuées. Elle leur faisait goûter, avec une force incomparable, l'émotion des contrastes, le plaisir brusque des péripéties et des coups de théâtre; en un mot, elle les rendait avides du drame avant sa naissance.
C'est par son côté douloureux qu'elle touche à la tra- gédie. Sur un fond commun, des récits divers naissent çà et là, qui font voir, à l'aide d'images pathétiques, la violence triste de l'hiver, la vigne dépouillée et mu- tilée, morte en apparence, mais pour renaître bientôt. En Thrace, c'est la légende du roi Lycurgue, chassant Dionysos et son cortège, mais bientôt cruellement puni, quand le jeune dieu, qui semblait vaincu, révèle sa puis- sance. A Thèbes, c'est celle de Pentheus, le petit-flls de Cadmos, rebelle lui aussi à Dionysos et déchiré par sa propre mère, Agave. En Attique, c'est Icarios et sa flUe, Erigone. Dans tous les récits de ce genre, certains traits communs nous frappent : la violence des passions dé- chaînées, la terreur et la pitié poussées au plus haut degré; surtout cette chose si éminemment tragique, l'a- veuglement de l'homme, croyant voir le mal là où est le bien et préparant sa propre perte par les moyens mêmes qui lui paraissent assurer son succès. Voilà ce qu'on
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